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Enjeux de la loi NOTRe (loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République)

Article rédigé en 2020

Article rédigé avec mon amie Lucie

Alors que le projet de loi décentralisation, différenciation et déconcentration (3D) en préparation au niveau gouvernemental devrait aboutir à une reconfiguration du paysage des collectivités territoriales, elle prend racine dans une opposition à la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République du 7 août 2015, dite loi NOTRe. Cette loi a en effet cristallisé les critiques en droit des collectivités territoriales, au point qu’elle est au cœur des préoccupations des maires, et que le Président de la République Emmanuel Macron s’est engagé devant eux à revenir sur certaines de ses dispositions.

La loi NOTRe constitue l’acte III de la décentralisation initiée en 1982. Elle s’inscrit dans une logique globalisée des territoires où ces derniers ont un cadre de compétences restreint et circonscrit afin de pallier les lacunes posées par un système qualifié de “millefeuille” administratif. En effet, l’on reprochait à l’ancien système son manque de lisibilité, ses financements croisés et ses compétences partagées notamment, poussant à une réforme de clarification avec des buts ambitieux. Outre la simplification des institutions, il importait de renforcer des pôles majeurs, notamment la région et les intercommunalités, rationaliser les organisations territoriales afin de faciliter les regroupements de collectivités, adapter les transferts de services et de compétences et ce dans un objectif à la fois d’égalité et de solidarité des territoires, et dans le souci de la transparence.

La loi NOTRe constitue la dernière brique d’un mouvement législatif consistant à redessiner la carte administrative et à opérer un renforcement des échelons supérieurs que sont les régions et les intercommunalités, au détriment des départements et des communes. Il était d’ailleurs question, dans le projet de loi, de supprimer l’échelon départemental. Ce projet aurait nécessité une révision de la Constitution puisque son article 72 consacre l’existence du département comme une collectivité territoriale. La configuration du Parlement à l’époque n’aurait pas permis à la majorité d’obtenir les ⅗ des votes nécessaires à une modification de la Constitution par la voie du Congrès, tel que prévu par l’article 89 de la Constitution.

Sujette à de nombreuses controverses, cette loi est venue établir des changements structurels importants visant à établir des blocs de compétences, d’une part par la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions, et d’autre part en associant chaque collectivité à des enjeux particuliers. Ainsi, la Région est devenue le pôle de l’orientation stratégique, le département celui de la solidarité et la commune et l’intercommunalité celui de la proximité. Cette sectorisation s’inscrit dans un processus plus global initié quelques années plus tôt.

Aussi l’étude de cette loi doit-elle se faire au regard de deux autres lois, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014 et la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions. Cet ensemble cohérent vise à redéfinir les différentes collectivités territoriales. 

Dès lors, il importe de déterminer si la loi NOTRe contribue réellement à parachever le processus de décentralisation initié en 1982 et si elle répond à une logique d’équilibre entre les territoires dans le souci d’une bonne administration locale.

La loi NOTRe propose une approche novatrice des territoires et de leur organisation tout en s’inscrivant dans la continuités des politiques déjà menées dans les années précédentes (I), elle semble toutefois présenter plusieurs lacunes au coeur des crispations que connaissent aujourd’hui les territoires (II).

I. La nouvelle organisation : entre ruptures territoriales et continuités politiques

Afin de comprendre les enjeux et les conséquences d’une telle loi il importe de comprendre les changements structurels qu’elle opère (A) et la manière dont ils s’accordent avec un mouvement plus global fruit d’autres lois qui la rendent possible (B).

A. Les renforcements respectifs de la Région et de l’intercommunalité aux dépens des départements et des communes

La loi NOTRe affiche plusieurs objectifs visant à faire émerger des pôles d’importance sur le territoire que sont les régions et les intercommunalités notamment, avec l’idée d’attribuer aux collectivités territoriales non pas tant des compétences mais un rôle dans le territoire.

Tout d’abord, la Région a vu ses compétences renforcées et explicitées. Elle est ainsi compétente pour la formation professionnelle, les gestion des lycées, des collèges dont les départements étaient auparavant en charge, et les transports notamment scolaires. Mais l’innovation majeure opérée par la loi NOTRe concerne surtout la manière dont la région a été envisagée, à savoir comme un pilote des stratégies de développement économique du territoire. Ce rôle est notamment permis par l’élaboration de schémas sur cinq ans, nommément le Schéma Régional de Développement Économique d'Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) et le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et de l’Egalité des Territoires (SRADDET) sous l’égide de la préfecture de région.

Le but est d’orienter la manière dont la région va pouvoir exercer ses compétences et remplir des objectifs quantitatifs et qualitatifs dans des matières très diverses telles que l’aménagement urbain, la gestion des zones d’activités économiques périurbaines, l’environnement, le désenclavement des territoires, l’habitat etc., à travers des objectifs quantitatifs et/ou qualitatifs. 

Ce rôle stratégique place ainsi la région comme planificateur, d’autant plus que ces schémas s’appliquent à des territoires vastes et parfois épars. En effet la loi no 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral a opéré une réunion de plusieurs régions entre elles faisant s’unir des territoires dont les disparités apparaissent difficile à lisser, et que les schémas entendent faire coexister sous des objectifs communs. Par ailleurs, l’article 10 de la loi NOTRe précise que “pour la mise en œuvre du schéma, la région peut conclure une convention avec un ou plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, un pôle d'équilibre territorial et rural ou une collectivité à statut particulier” afin que la région ne vienne pas absorber les territoires ou adopter des décisions susceptibles de leur nuire au nom d’une vision globalisée.

Les intercommunalités ont elles aussi été profondément impactées par la loi NOTRe, et davantage orientées vers un rôle de proximité, malgré leur extension. En effet, s’il était auparavant possible de créer une communauté de communes à partir d’un seuil de 5 000 habitants, ce seuil a été élevé à 15 000, selon l’idée qu’en étant plus grandes, ces intercommunalités pourront mener plus de projets. Le contrecoup logique est de diminuer conséquemment le rôle des communes et leurs spécificités fondues dans des établissements plus vastes.

Pour autant l’accent a été mis sur des missions traditionnellement laissées aux communes telles que la gestion des déchets, la gestion et l’entretien des aires d’accueil pour les gens du voyage, les services de proximité, la gestion et le traitement des eaux…

Il en découle pour les départements et les communes un certain déclassement. En effet le projet de loi NOTRe allait jusqu’à envisager de supprimer le département. In fine, s’il a effectivement perdu des compétences au profit de la région, il a été renforcé dans les domaines de la solidarité, étant vu comme l’échelon le plus compétent et approprié pour gérer notamment la prise en charge du handicap, de la vieillesse ou encore du RSA. 

Les communes quant à elles gardent la main sur des domaines tels que la culture, le sport, le tourisme, l’éducation populaire, toutefois, les intercommunalités, les régions et les départements le sont tout autant, ce qui vient nuancer le bien fondé d’une nouvelle répartition, qui pose finalement des difficultés semblables à celles qui avaient cours auparavant.

Dès lors, cette nouvelle organisation apparaît finalement peu lisible, manquant ainsi son objectif pourtant principal. Il importe donc de se pencher sur le mouvement dans lequel elle s’inscrit pour en mieux saisir la synthèse.

B. Les projections politiques de la loi NOTRe : le prolongement d’une sectorisation absconse

La loi NOTRe vient s’inscrire dans un mouvement général ayant pour but, à la fois d’éviter le chevauchement des compétences entre les différentes collectivités territoriales, et de renforcer les échelons supérieurs, suivant l’idée selon laquelle on agit mieux à grande échelle. Ce n’est pas sans remettre en cause un des principes de la décentralisation, selon lequel, au contraire, le plus petit échelon doit être préféré au plus grand échelon, en application du principe constitutionnel de subsidiarité mentionné à l’article 72 de la Constitution.

C’est ainsi que logiquement, comme exposé précédemment, cette loi opère des transferts de compétences selon une verticalité ascendante :  les régions se voient transférer des compétences du département et les intercommunalités, des compétences historiques de la commune.

L’idée derrière la loi n’est en réalité pas nouvelle : alors que la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) du 16 décembre 2010 oblige chaque commune à adhérer à un établissement public de coopération intercommunale et crée les métropoles et les pôles métropolitains, la loi MAPTAM du 17 janvier 2014, renforce le rôle de ces métropoles et crée des statuts particuliers pour celles de Paris, Lyon, et Marseille. La loi NOTRe suit ce mouvement en renforçant les autres formes d’EPCI : les communautés de commune et les communautés d’agglomération. 

La loi MAPTAM instaurait par ailleurs des collectivités territoriales cheffes de file dans certaines compétences, avec un déséquilibre marquant en défaveur des communes. Elle prévoyait en effet que les régions seraient cheffes de file en matière de développement économique, d’aides aux entreprises, de transports, de biodiversité, de transition énergétique, et d’agenda 21. Les départements étaient chefs de file en matière d’action sociale, d’aménagement numérique et de solidarité territoriale. Les communes, elles, ne sont cheffes de file que pour la mobilité durable et la qualité de l'air. L’esprit de cette loi n’est donc pas éloigné de celle qu’il s’agit d’étudier, dans la mesure où on voit déjà un net renforcement des échelons supérieurs, et une reconnaissance résiduelle des compétences des échelons inférieurs, et notamment la commune.

Paradoxalement, la commune se voit aussi quelque peu renforcée par la loi NOTRe puisque, à l’inverse des régions et des départements, sa clause générale de compétence n’est pas supprimée : la notion d’affaires locales reste donc d’actualité, mais les compétences stratégiques seront désormais traitées par les échelons supérieurs que sont la région et le département.

Enfin, un des objectifs affiché des réformes des collectivités territoriales engagées entre 2010 et 2015 est celle de la réduction des dépenses publiques. C’est au regard de cet objectif que l’on peut mieux lire l’augmentation du seuil de nombre d’habitants pour les EPCI, qui a pour objectif de supprimer des EPCI et ainsi, de réaliser des économies. De la même manière, la reconfiguration de la carte régionale intervenue par la loi du 16 janvier 2015 suit le même objectif : en réduisant le nombre de régions, des économies d’échelle devaient être réalisées.

Au delà du simple transfert de compétences, c’est une reconfiguration totale du paysage des collectivités territoriales que vise le mouvement législatif récent relatif aux collectivités territoriales. On peut critiquer que l’objectif de réduction des dépenses, ou la préférence des échelons administratifs aux territoires larges, se fasse au détriment d’une action locale plus proche des réalités du terrain.

II. Une loi critiquée au regard de ses objectifs non atteints

Encore en 2019, la loi NOTRe fait l’objet de critiques, notamment de la part de maires et de parlementaires. La distension du lien entre les citoyens et élus locaux (B) trouve sa source dans une négation des réalités de l’action locale (A).

A. Une loi qui nie la réalité de l’action locale

L’un des changements majeurs opérés par la loi NOTRe est la suppression de la clause générale de compétences aux départements et aux régions, faisant de la commune la seule collectivité territoriale à pouvoir en disposer. Pour rappel, cette clause permet aux collectivités d’intervenir dans des domaines nouveaux qui ne seraient pas inscrits dans la loi, en les faisant sortir d’une répartition stricte et hermétique des compétences. Or, cette clause générale de compétence avait pour mérite de combler une carence potentielle de l’Etat ou de la commune sur un territoire, ce qui est désormais impossible. Cette perte d’initiative pour les départements et les régions est d’autant plus décriée qu’elle tend à remettre en cause du même coup le principe constitutionnel de subsidiarité permettant aux collectivités de “prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon”.

Cette suppression est particulièrement préjudiciable pour les départements lesquels ont vu l’ensemble de leurs compétences réduit, notamment en ce qui concerne les aides que le département est susceptible d’apporter en tant qu’échelon de la solidarité. Les départements n’ont par exemple plus la possibilité d’apporter des aides aux entreprises et à l’immobilier d’entreprise, alors même que ce domaine constitue un élément essentiel de l’attractivité des territoires. 

La conduite d’une action locale cohérente et efficace a également été compromise par la complexification des mécanismes de délégation de compétences, limitant encore un peu plus les possibilités d’actions des collectivités qui se retranchent sur leurs socles de compétences respectifs. Si bien qu’alors même que la loi NOTRe voulait inciter les territoires à une plus grande coopération les uns entre les autres du fait de la nouvelle hiérarchisation établie, ces derniers y sont d’autant moins prompts que les différents régimes sont devenus illisibles. Ainsi des mécanismes tels que la mutualisation (mise en commun de moyens entre plusieurs personnes morales) ou l’interterritorialité (coordination, articulation et assemblage de l’action publique territoriale) sont peu ou pas exploités, ce qui nuit là encore à l’action publique locale.

Il en découle une action finalement moins concertée entre les territoires et davantage une logique “supra” territoriale qui loin de rapprocher les actions publiques les efface au profit d’une vision globalisée et finalement moins efficace aux petits échelons. La logique sectorielle de la loi NOTRe ne contribue ainsi pas à une lecture plus claire et une spécialisation efficace, en ce que les territoires sont naturellement poussés à une coopération qui n’a ici pas été spécialement facilitée, d’autant plus que l’action publique n’a pas une définition stricte et un contenu explicite. Cette construction de l’action territoriale amène par ailleurs une certaine insécurité juridique et paralyse la prise d’initiative limitée par des règles inintelligibles. La cohésion entre les territoires apparaît dès lors bien difficile à mener, a fortiori car le dialogue entre les différentes collectivités n’a pas été mis au coeur du projet. Or ce sont précisément les tenants de ces nouvelles compétences qui sont en charge d’assurer la bonne conduite de l’action publique dans le souci d’une bonne administration des territoires, et ces derniers expriment des crispations qui ont récemment été exacerbées par différentes sorties telles que la campagne “balance ton maire” lancée par des militants La République en Marche en 2018.

B. Une loi qui distend le lien de proximité entre citoyens et élus locaux

Alors que la réforme de la carte régionale a pu éloigner le citoyen du centre décisionnel, la loi NOTRe semble éloigner le citoyen comme le maire des décisions communales transférées aux intercommunalités.

La réforme de la carte intercommunale, par le passage de 5 000 habitants à 15 000 habitants, a eu pour conséquence de constituer des intercommunalités plus larges. Par exemple, le nombre d’EPCI sur le territoire a baissé de 39% sous l’effet de cette réforme. La taille moyenne d’une communauté de communes est également passée de 16 à 26 communes, et enfin, le nombre des intercommunalités de plus de 50 communes est passé de 53 en 2016 à 143 en 2019.

Agrandies par souci d’une action plus large et plus rationnelle, les intercommunalités telles qu’elles résultent de la loi NOTRe concentrent les critiques des maires. La distance géographique entre le territoire et le siège de l’intercommunalité constitue un premier obstacle à un dialogue entre les structures et à la participation des maires dans celles-ci. Mais la critique porte aussi sur le contenu : les sujets abordés au sein des intercommunalités sont davantage techniques et les normes y sont abondantes. Il en résulte une situation asymétrique des rapports d’influence entre l’intercommunalité et la commune : alors que 80% des maires estiment que l’intercommunalité exerce une grande influence sur leur commune, ils ne sont que 25% à estimer que leur commune exerce une influence sur l’intercommunalité. Les importants transferts de compétences opérés par les réformes successives et notamment la loi NOTRe contribuent à ces critiques : 75% des maires estiment que ces transferts de compétences ont eu un impact négatif sur leur mandat.

Les maires ne sont pas les seuls à remettre en cause les intercommunalités, puisque 43% des Français interrogés sur l’échelon à supprimer répondent les intercommunalités, les plaçant ainsi en tête dans ce sondage. Le politologue et juriste Benjamin Morel analyse ces chiffres au regard de la loi NOTRe, estimant que “le désamour que subissent ces groupements est bien sûr aussi lié à la popularité des communes et des maires qu’ils sont réputés contraindre”. Effectivement, les maires et de manière générale les communes semblent être l’échelon territorial qui attire le plus la sympathie des citoyens, puisqu’ils ne sont que 7% à estimer qu’il faut supprimer l’échelon municipal, et que le maire est la personnalité politique préférée de 63% d’entre eux.

La loi NOTRe a également échoué à faire connaître et comprendre les différentes compétences des différents échelons, et ainsi à simplifier le “millefeuille administratif” : 55% des Français interrogés réclament une clarification des compétences des collectivités, et 70% d’entre eux reconnaissent ne pas connaître les domaines d’attribution des différents échelons territoriaux.

En définitive, il semble que le mouvement dans lequel s’inscrit la loi NOTRe, et plus spécifiquement la loi NOTRe elle-même, ont opéré une refonte de la décentralisation en oubliant élus locaux et citoyens. L’obligation d’adhérer à une intercommunalité opérée par la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) du 16 décembre 2010 puis le rehaussement du nombre minimal d’habitants pour constituer une intercommunalité par la loi NOTRe ont abouti à des intercommunalités larges, aux compétences obligatoires élargies, et où les communes estiment ne pas avoir d’influence.